LA TRADITION BYANGTER

ou LES TRESORS DU NORD

  

par Martin Boord

Extrait de The Cult of the Deity Vajrakila, Tring, 1993

 

Quand, au VIII ème siècle, le souverain du Tibet et grand patron du bouddhisme, le roi Trisong Deutsan (Khri Srong IDe‘ub Tsan), envoya des messagers en Inde avec des offrandes de poudre d‘or afin d‘inviter et de solliciter l‘aide de Padmasambhava pour la fondation du monastère de Samye ( bSam Yas), l‘un des messagers était son propre oncle et proche compagnon, Nanam Dorje Dudjom (sNan Nam rDo rJe bDud 'Joms). Dès son arrivée au Tibet, Padmasambhava donna un grand nombre d‘instructions ésotériques à Nanam Dorje Dudjom qui est resté l‘un de ses cinq disciples les plus proches durant toute cette période d‘intense activité d‘enseignement. Ces instructions magico-religieuses ont été dites d‘une importance vitale pour la protection des futurs descendants du roi Trisong Deutsan et elles ont été précieusement confiées à Nanam Dorje Dudjom avant d‘être dissimulées dans les montagnes comme un trésor qui serait révélé ultérieurement pour le bénéfice du Tibet en général et la prospérité des descendants royaux en particulier.

En 1337, le dixième jour du premier mois de l‘année du bœuf de feu, Nanam Dorje Dudjom renaquit à gNyan-yul comme le découvreur de trésors Nögdrup Gyaltsen (dNos Grub rGyal mTshan). De nombreuses marques auspicieuses furent observées sur son corps. Son père était Lopön Düdul (sLop dPon bDud 'Dul), un yogi tantrique expérimenté dans la pratique de Vajrakila. Le jeune Nögdrup Gyaltsen étudia sous sa tutelle ces doctrines de même que celles de Mayajala et de Matarah ainsi que d‘autres. Il est dit qu‘il paracheva le samadhi de Vajrakila à l‘âge de huit ans. Après la mort de son père, sa mère continua son éducation.

Lorsqu‘il eut l‘âge de onze ans, trois touffes en forme de plumes apparurent au sommet de sa tête et lorsqu‘il atteignit l‘âge de vingt-trois ans, il y en avait cinq. A cause de ces excroissances qui ressemblaient à des plumes de vautour, il est devenu célèbre comme Gö Kyi Dem Tru Chan (rGod Kyi IDem 'Phru Can), «celui avec les plumes de vautour ». Ces signes extraordinaires avaient été annoncés par des prophéties et furent considérés comme les marques d‘un être vraiment très spécial. Il est également connu comme Mahavidyadhara (Rig 'Dzin Chen Po) et c‘est ce titre qui est véhiculé à travers chacune de ses incarnations successives.


En 1364 un lama du nom de Zangpo Dragpa ( bZang Po Grags Pa) déterra un certain nombre de textes trésors dont huit liés aux trésors cachés de Zang-Zang Lha-Brag, près du lieu de naissance de Rigdzin Godem (Rig 'Dzin rGod lDem). Il confia alors ces textes au maître vinaya Sonam Wangchuk (bSod Nams dBang phyug) et à deux de ses compagnons qui devaient les remettre à «un yogi qui porterait une statue ou un rosaire à la main » et qu‘ils rencontreraient à l‘Est de la montagne de Zang-Zang.

Une semaine plus tard environ, alors que les trois voyageurs étaient en train de prendre leur repas sur la rive d‘un cours d‘eau près du monastère de Brag-Lung au Nord gYas-Ru, Godemchen (rGod ldem can) arriva là-bas, en provenance de sNa-Mo-Lung et portant dans ses mains une image en cuivre de Vajrakila et un rosaire. Après s‘être consultés, les voyageurs considérèrent que toutes les conditions de la prophétie étaient remplies et ils le reconnurent comme celui qu‘ils recherchaient. Ils lui remirent tous les rouleaux des trésors et une lettre de bons vœux cachetée.

Après son retour à sNa-mo-ling, Rigdzin Godem vit que le temps était venu de sortir la clé de ces trésors. Ainsi, depuis un endroit situé près de trois rochers dressés en dessous du sommet de Riwo Trazang ( Ri Bo bKra bZang), Godemchen déterra le maillon suivant de la chaîne des Trésors du Nord sous la forme de sept rouleaux de papier. Puis, afin de compenser l‘extraction de ces rouleaux, Rigdzin Godem enterra un autre trésor à leur place. Durant les célébrations de nouvel an de l‘année suivante, un arbre qui existe encore aujourd‘hui poussa spontanément à cet endroit.

Deux mois plus tard, le quatrième jour du mois du mouton de 1366, Rigdzin Godem conduisit ses disciples en haut de «la montagne qui ressemble à un amas de serpents vénéneux ». L‘air se remplit d‘arcs-en-ciel lorsqu‘ils atteignirent la face sud-ouest de la montagne et le ciel rougeoyait comme un rubis dans la splendeur du soleil couchant. Ils grimpèrent jusqu‘à une grotte dans laquelle Godemchen entra et où il se mit à prier. Lorsque le ciel devint noir, la grotte commença à trembler et à être secouée, signe que le Maître des Trésors était arrivé. Ils allumèrent des lampes à beurre et parvinrent à discerner sur la roche, clairement, une image de Visvavajra. Quand le guru appuya sur cette marque avec son rouleau de papier, la paroi sembla s‘ouvrir comme une porte donnant sur une chambre triangulaire dans laquelle ils trouvèrent un serpent bleu, gros comme le bras d‘un homme. Il était enroulé sur lui-même, la tête tournée vers le sud-est, sur un bloc de pierres bleues et il dissimulait dans ses anneaux un coffret de cuir marron, les cinq casiers des Trésors du Nord.

Du compartiment central d‘un cuir rouge profond, Rigdzin Godem sortit le cycle du Kunzang Gonpa Zangthal (Kun bZang dGongs Pa Zang Thal) en quatre volumes, qui est devenu par la suite la plus fameuse et la plus vénérée de toutes les présentations des doctrines de l‘Atiyoga au Tibet. De cette section, il sortit également les enseignements de Lama Rigdzin Dungdrup (bLa Ma Ri‘g Dzin gDung sGrub) ainsi que d‘autres textes reliés aux trois racines de la pratique tantrique (Guru, Deva et Dakini), les textes Atiyoga à propos de Vajrakila , trois kila enveloppés dans de la soie marron, trente rouleaux de papier enveloppés dans de la soie bleue, et d‘autres objets sacrés.

Le compartiment oriental était fabriqué en coquillage blanc et contenait les textes du cycle de Gyu Drae La Dogpa (rGyu 'Bras La lDog Pa) (en finir avec la cause et l‘effet) de même que des enseignements relatifs à la similarité entre l‘esprit éveillé et le ciel (dGongs Pa Nam mKha‘ Dang mNyam Pa‘i Chos) et les tantras du cycle du Ka Dag Rang Byung Rang Shar concernant la présence naturelle et l‘apparition de la pureté originelle.

Le casier doré sud du coffre contenait les enseignements de la pratique en quatre points de l‘invocation de la déité (sNyen sGrub rNam Pa bThi‘i Chos) et les textes du gSang sGrub Guru Drag po Tsal et du bKa‘ brGyad Drag Po Rang Byung Rang Shar. Ces importants cycles de rituels sont devenus célèbres « comme le soleil et la lune » à cause de l‘éclat et de la clarté de l‘esprit de ceux qui les ont pratiqués. Dans ce compartiment également furent trouvés des textes en lien avec Vajrakila dans sa forme Mahattarakila avec neuf têtes et dix-huit bras.

Du compartiment occidental de cuivre rouge, Rigdzin Godem sortit le rTen ‘Brel Khyad Par Can et le Phyi sGrub ‘Gro Ba Kun Grol qui forment une partie du cycle rTen ‘Brel Chos bDun. Il sortit aussi le TsanDan Gyi sDong Bu lTa Bu‘i Chos et un volume dans lequel furent trouvés les enseignements de rTa mGrin Dregs Pa dBang sDud, de 'Khor 'Das dBang sDud et de Lha Chen, de même qu‘un autre volume contenant le Byang Chub Sems dPa‘i spyod dBang.

Dans le compartiment noir du nord en fer, les textes des rituels courroucés les plus violents furent trouvés. Plusieurs enseignements de Vajrakila ont été pris dans cette section du coffre ainsi que le dGra bGegs Thal Bar rLog Pa‘i Chos, un texte qui est dit être aussi pernicieux que la tige d‘une plante vénéneuse. Huit traités sur la composition de la médecine rituelle ont été également découverts là et des commentaires supplémentaires (upadesa) et des instructions sur la façon de faire des « croix de fil » (mdos) mais tous ces textes n‘ont pas été transcrits et diffusés.

Après avoir découvert ces cinq trésors d‘enseignement, Rigdzin Godem organisa chacune des sections en cent une parties. En les arrangeant clairement, il enseigna les doctrines qu‘elles contenaient à des disciples choisis.

Ces enseignements, les Byang-gTer ou Trésors du Nord, ont été transmis à travers trois lignées connues comme les lignées de la Mère, du Fils et du Disciple. Les détenteurs successifs de ces doctrines sont renommés pour avoir atteint de nombreux siddhi ordinaires et élevés.

La troisième incarnation de Gö Kyi Dem Tru Chan (Ngag gi dbang-po, 1580-1639) fonda le monastère de Dorje Drag (rDo rJe Brag), qui a été le principal siège d‘étude des lignées des Trésors du Nord. C‘est l‘un des principaux monastères Nyingmapa au Tibet. L‘actuel titulaire est Tubten Jigmed Namdrol Gyamtso (Thub bsTan 'Jig Med rNam Grol rGya mTsho), dixième incarnation du Tertön, né en 1936 à Lhasa. Malgré l‘invasion du pays par les communistes chinois, il est resté au Tibet et a dernièrement été actif dans la reconstruction du monastère qui avait été pratiquement complètement détruit pendant la « révolution culturelle ». Il y a aussi un monastère Dorje Drag à Simla, dans l‘Himachal Pradesh, en Inde.

Voir également Ngödrup Gyaltsen ou Rigdzin Gödemchen par Dudjom Rinpoche